CHAPITRE XXVI - OÙ IL EST SURTOUT QUESTION DE GOLF
— Ton amie est très gentille, Bundle, dit lord Caterham.
Loraine était à Chimneys depuis huit jours et avait fait la conquête de son hôte, grâce, en particulier, à la docilité avec laquelle elle s’était laissé instruire dans l’art du golf.
Lord Caterham, qui s’était ennuyé à l’étranger, avait commencé à apprendre le golf. Il y jouait très mal mais, comme tous les néophytes, il se montrait plein d’ardeur. Il passait la plus grande partie de ses matinées à étudier des coups et faisait le plus souvent d’énormes trous dans le gazon, au grand désespoir de Mac Donald.
— Regarde celui-ci, Bundle, continua-t-il, par-dessus le genou gauche, en arrière lentement, sans bouger la tête et avec flexion du poignet.
La balle violemment frappée bondit à travers la pelouse et disparut dans les profondeurs d’un grand massif de rhododendrons.
— C’est bizarre, dit lord Caterham, qu’ai-je donc fait ?… Comme je te le disais, Bundle, ton amie est vraiment gentille. Je crois qu’en écoutant mes conseils, elle a fini par s’intéresser au jeu. Elle a fait quelques coups excellents, ce matin, aussi bons que je les aurais faits moi-même.
Tout en parlant, lord Caterham souleva encore son club et arracha une grosse motte de gazon.
Mac Donald, qui passait, la remit en place, la piétina et jeta à son maître un regard qui aurait dû le faire rentrer sous terre.
— Si Mac Donald s’est montré dur avec les Coote, ce que je crois, fit observer Bundle, il en est puni maintenant.
— Pourquoi ne ferais-je pas ce qu’il me plaît dans mon propre jardin ? interrogea son père. D’ailleurs Mac Donald devrait s’intéresser au golf car c’est un sport très répandu en Écosse. Quant aux Coote, sir Oswald ne joue pas mal du tout, bien qu’avec trop de raideur. Du reste, il déclare que le golf ne l’intéresse pas en lui-même et qu’il n’y voit qu’un moyen de faire de l’exercice. Il n’en est pas ainsi de son secrétaire Bateman, pour lequel la technique seule compte. L’autre jour je réussissais mal un mouvement et il m’a expliqué que cela provenait de ce que je me servais trop de mon bras droit. Il m’a même développé une théorie fort originale : il prétend que, dans le jeu du golf, le bras gauche compte seul et que, comme il est gaucher, cela lui donne une supériorité.
— Joue-t-il donc d’une manière remarquable ? interrogea Bundle.
— Non, avoua lord Caterham ; il n’était peut-être pas en forme l’autre jour… Qu’y a-t-il, Tredwell ?
Celui-ci répondit en s’adressant à lady Eileen :
— Mr Thesiger voudrait vous parler au téléphone, milady.
Bundle courut vers la maison en criant :
— Loraine ! Loraine !
Miss Wade la rejoignit au moment où elle prenait le récepteur.
— Allô ! C’est vous, Jimmy ?
— Allô ! Comment allez-vous ?
— Très bien.
— Et Loraine ?
— Très bien aussi ; elle est ici, voulez-vous lui parler ?
— Dans un instant, j’ai beaucoup de choses à vous dire. Tout d’abord, je vais chez les Coote pour le week-end… Dites-moi, Bundle, savez-vous où l’on peut acheter des fausses clés ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, mais est-il nécessaire que vous emportiez des fausses clés chez les Coote ?
— Cela pourrait m’être utile.
— Alors adressez-vous à un aimable cambrioleur et demandez-lui de vous renseigner.
— Oui, mais je n’en connais pas. Il faudra que je m’en rapporte, comme d’habitude, à l’ingéniosité de Stevens, seulement il finira par avoir d’étranges soupçons à mon sujet. Je lui ai fait acheter un revolver, maintenant des fausses clés…
— Jimmy, vous ferez attention, n’est-ce pas ? car, si sir Oswald vous voyait rôder dans sa maison, je crois qu’il pourrait se montrer assez désagréable envers vous.
— Soyez tranquille. D’ailleurs, c’est de Pongo que je me méfie. On ne l’entend jamais marcher et il est toujours là où il n’a que faire. Mais ayez confiance en moi.
— Je regrette de ne pas être là-bas avec Loraine pour veiller sur vous.
— Merci ; du reste, j’ai un plan. Ne croyez-vous pas que vous pourriez, Loraine et vous, avoir une panne de moteur demain matin, près de Letherbury ? Ce n’est pas très loin de chez vous, n’est-ce pas ?
— Une soixantaine de kilomètres, ce n’est rien.
— J’étais sûr que vous penseriez ainsi, mais ne tuez pas Loraine par excès de vitesse, car je l’aime beaucoup. Donc, entre midi et quart et midi et demi.
— Afin que l’on nous invite à déjeuner ?
— Oui. Figurez-vous, Bundle, que j’ai rencontré la jeune Socks hier ; elle m’a appris que Térence O’Rourke va aussi passer ce week-end chez les Coote.
— Jimmy, pensez-vous qu’il ?…
— Il faut soupçonner tout le monde, c’est la règle ; vous savez qu’il s’agit d’un garçon fort audacieux et je le crois capable d’être à la tête d’une société secrète. Il est bien possible qu’il soit complice de la comtesse car il est allé en Hongrie l’année dernière.
— Mais les documents sont sans cesse à sa portée.
— C’est bien pourquoi il ne peut les prendre. Il faut qu’il agisse sans éveiller les soupçons. En somme, supposez qu’il ait grimpé le long du lierre et soit retourné dans son lit, c’eût été astucieux. Maintenant, voici mes instructions : après avoir échangé quelques phrases polies avec lady Coote, il faudra qu’avec Loraine vous vous empariez de Pongo et de O’Rourke et que vous les reteniez jusqu’à l’heure du déjeuner. Cela ne doit pas être difficile à deux charmantes jeunes filles comme vous.
— Oh ! vous employez les grands moyens ! Quoi qu’il en soit, je prends note de vos instructions. Voulez-vous maintenant parler à Loraine ?
En achevant ces mots, Bundle tendit le récepteur à sa compagne et quitta discrètement la pièce.